Sur les traces de Darwin – ultime évolution du jeu-passerelle ?
Un jeu-passerelle (gateway game) est un jeu permettant d’introduire un public à un nouveau type de jeu, typiquement de proposer une transition aux personnes ayant au mieux pratiqué les « vieux classiques » (Monopoly, Cluedo, UNO, au mieux quelques jeux d’ambiance) vers le « jeu de société moderne » avec des titres accessibles mais malins et tenant donc par essence compte des exigences de la modernité – parties courtes ou du moins dynamiques, configurations optimisées, règles accessibles ou du moins logiques, univers thématique et graphique aguicheur… S’il y a donc par définition plusieurs crans de jeu-passerelle, par exemple selon l’âge, le background ludique et la disponibilité de la cible, le très récent Sur les traces de Darwin m’en paraît un emblème tout à fait intéressant.
Sur les traces de Darwin est l’œuvre des concepteurs Matthieu Verdier (Demeter, Varuna, Federation) et Grégory Grard (Mot malin, Tribunal 1920), des illustrat.rice.eur.s Maud Briand (justement spécialisée dans la peinture animalière) et David Sitbon (IKI, interviewé à l’occasion de Paris 1889), et de l’éditeur Sorry We Are French (éditeur de plusieurs de mes jeux préférés, Demeter, Varuna, IKI, Galileo Project, Gosu X, bientôt Zhanguo), désormais filiale de Hachette. Vous peinez à voir le lien entre la ludographie des intervenant.e.s et Sur les traces de Darwin ? Cela tombe bien, le test du jeu est suivi de l’interview des deux concepteurs pour les laisser justifier leur démarche !
Le jeu est conçu pour 2 à 5 naturalistes de 8 ans et plus pour des parties d’une demi-heure. Il est vendu environ 35 euros – 31 euros 41 avec le Pass Ludovor de Ludum sur ce lien affilié.
Notez que cette chronique a été permise par la réception d’un service presse – et retrouvez ici mes commentaires sur ces cadeaux et la manière dont ils affectent l’objectivité critique.
Du draft des espèces
Un matériel vraiment étonnant
Ma première surprise devant Sur les traces de Darwin a été matérielle. Si le jeu ne cherche pas à « faire luxe » (contrairement à un 7 Wonders Architects par exemple, pas de couche UV sur la couverture, pas d’inserts en plastique, pas de débordement de couleurs chaudes), il impose dès la couverture une recherche de raffinement, abordant avec une élégance inattendue (pour un tel public) un sujet relativement intello, dès le cadre de la couverture et le parti pris d’illustrations plutôt naturalistes. Sa boîte plutôt grande est par ailleurs bien remplie (il y a fort à parier que vous serez surpris la première fois que vous la soupèserez), et entre le petit sac en toile brodé, le pratique bien que simple insert cartonné et surtout le soin extrême apporté au dos des plateaux (par excellence l’élément que l’on peut « sacrifier » puisqu’invisible pendant une partie) – les quatre plateaux individuels pliables jouissent ainsi d’un « effet livre », ont chacun une couleur distincte, et même les esquisses en arrière-plan du recto sont personnalisées sans que cela ait aucun intérêt mécanique – on est bien confronté.e.s à un produit développé avec un soin objectivement inhabituel. Vous pourriez légitimement avoir l’impression que j’en fait des tonnes, mais je n’ai même pas fait part de mon plus grand étonnement matériel, peut-être plus subjectif en ce qu’il est davantage relatif à ce que je sais des pratiques éditoriales.
Comme vous le savez, un éditeur de jeu original cherchera souvent à concevoir un produit aussi exportable que possible : titre anglophone ou universel, matériel non textuel quand ce n’est pas absolument nécessaire… Or Sur les traces de Darwin fait tous les choix inverses, s’accompagnant même d’un long livret annexe strictement consacré à des explications encyclopédiques sur les différentes espèces représentées sur les tuiles du jeu, donnant à certaines tuiles sinon non-textuelles le titre de chapitres de De l’Origine des espèces, et faisant même apparaître sur les plateaux individuels une toute petite représentation du dos des tuiles « ordinaires », dos sur lequel figure le titre du jeu donc en français. Comme une manière de narguer le marché en montrant que l’on peut assumer un vrai jeu complètement francophone, et tant pis si cela compliquera la localisation dans les autres langues, évidemment prévue – les auteurs répondent d’ailleurs à ce choix audacieux dans l’interview. Read more…….
Source : https://vonguru.fr/2022/04/24/explorers-of-the-woodlands-ks-dun-gros-petit-dungeon-crawler/